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    Très bonne et très très longue interview (des fois, ça arrive, et ça fait du bien...) de Michael Collins chez Chronic'art, à l'occasion de la sortie de son dernier livre en France (Les Âmes Perdues) : un auteur très noir, fasciné par l'encore plus noir désespoir de l'Amérique profonde. Qui aime bien chatie bien :

    Ça a été difficile [de publier]?

    En fait, rien n’a été fait aux Etats-Unis. Pour le premier livre, on m’a dit que ce n’était pas une voix américain, mais l’histoire d’un émigrant irlandais, que c’était trop sombre, trop négatif, trop différent, bref, trop irlandais. On me disait : "OK, vous êtes un bon écrivain. Pourquoi vous ne choisissez pas un autre sujet, le sport par exemple ? Vous pourriez raconter vos courses, ce serait moins déprimant…". Mais je ne voulais pas, bien sûr. Si ce que je faisais était vraiment bien, comme ils le disaient malgré tout, je n’allais pas changer de sujet ! C’est seulement avec les autres livres, après, que j’ai compris ce qui se passait vraiment. Les éditeurs imaginaient que mes textes étaient anti-américains, entre autres parce que j’étais étranger. Heureusement, j’ai été publié en Europe, et les critiques n’y ont pas été du même avis.
    [...] La situation a complètement changé très récemment, quand j’ai été finaliste du Booker
    Prize. Là, les journaux ont dit que le livre était bon, que j’étais un écrivain, marginal certes, mais un écrivain. Certains sont allés jusqu’à dire que j’aurais dû gagner le prix ! Bref, tout s’est inversé, notamment dans mes rapports aux médias et aux éditeurs. L’année d’avant, tout avait pourtant été terrible pour moi : on m’avait redit, encore et encore, que ce que j’écrivais était atrocement sombre ; surtout, certains allaient jusqu’à m’expliquer que je ne connaissais rien à la culture américaine, que mes livres n’étaient pas authentiques, qu’ils ne reflétaient aucune réalité concrète, que les personnages étaient des pantins, que tout était faux !
    En fait, il revenait à me sanctionner pour cette raison que j’aurais dû écrire un autre type de littérature : quelque chose d’irlandais par exemple. Mais plus le temps passait, plus je m’ancrais aux Etats-Unis, plus je voulais raconter ce pays. Et j’étais le seul à trouver ça naturel. Je me souviens même de rumeurs qui parlaient d’imitation, de critiques selon lesquelles mon style aurait été "trop américain pour être vrai, trop américain pour quelqu’un qui n’est pas né ici". Je trouve d’ailleurs que c’est plutôt flatteur, pour le coup… Tout ça était ridicule : bien sûr, j’ai lu Richard Ford ou Raymond Carver ; bien sûr, nous exploitons des thèmes similaires. Mais au final, rien ne se fait consciemment. On vit dans un pays, on s’en imprègne, on écoute les gens, on leur parle, on lit. Ce que j’écris est toujours de la fiction : le problème n’est pas de savoir si je suis étranger ou non, si je comprend les Etats-Unis ou non, si je suis né ici ou non. Le problème est que raconter les villes et les vies que j’ai vues dans cette région du Midwest, ça conduit forcément à écrire du noir, à moins de mentir ou de se voiler la face.

    PS : Chronic'art est le dernier repère dse bons critiques en France ; si vous avez l'occasion d'aller  y faire un tour (c'est remboursé par la sécurité sociale), je vous conseille aussi les critiques cinéma (sauf peut-être celle de Jet Set 2 -- l'erreur est humaine) : tout ce que j'ai toujours voulu dire sur Troie et Van Helsing, sans jamais avoir le courage de singaler à mon frère qu'il a des goûts de chiotte...

    Ecrit par Heileen, à 15:01 dans la rubrique "Littérature anglo-saxonne".



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