La Muselivre

LE FIGARO LITTÉRAIRE. – Votre livre brise certains tabous d'une manière calme et distanciée...
Doris LESSING. – Le fait est qu'il s'agit d'abord, et avant tout, d'une histoire vraie. Si certains tabous tombent, c'est par l'enchaînement des circonstances dans la réalité, et non par ma volonté d'auteur. N'importe quel écrivain digne de ce nom aurait, de toute façon, pris la plume en entendant une histoire pareille, pour tenter d'en tirer quelque chose sur le plan romanesque. L'histoire m'a été racontée par un jeune homme qui entretint des relations amicales avec les deux garçons dont il est question dans Les Grand-Mères. Au nom de cette amitié, on aurait pu s'attendre à ce qu'il fût choqué par l'injustice subie par ses congénères à cause de cette expérience, même si celle-ci leur parut d'abord gratifiante ; mais il n'était absolument pas choqué par toute cette histoire. Au contraire, il enviait leur sort ! Il m'a d'ailleurs confié qu'il avait lui-même tenté à plusieurs reprises d'aborder des femmes d'un certain âge, dans l'espoir d'établir avec elles une relation. Chaque fois, celles-ci l'avaient repoussé en lui disant peu ou prou : «Fiche-moi la paix, jeunot.»