La Muselivre

Il y a dix minutes, sous la belle verrière où je travaille, maintenue à la température idyllique de 40°C à quatre heures, j'étais en train de suer comme un veau, accroupie sous mon bureau (parce que j'ai de la chance, c'est sous mon bureau), en compagnie de la secrétaire de ma boîte (qui s'est fait engagée pour être "l'assistante" du patron, et qui se retrouve standardiste stakhanoviste : "Editions Mmmmmmhhhh, Bonjour !"), à chercher, dans les piles gargantuesques de manuscrits, LE manuscrit de LE auteur. Le seul, l'unique, celui qui considère qu'il lui suffit de donner son nom, LE nom, pas le titre de son manuscrit, pour qu'immédiatement, l'intégralité de la boîte s'écrie : "Alain !! Mais c'est bien sûr : Alain !"

Alain X, mon cher, rassure-toi, l'intégralité de la boîte a lu ton cher manuscrit, d'ailleurs, quelque part, un jour, il y a eu une réunion de la société secrète des Editions Mmmmmmhhh pour parler de TON manuscrit Alain, parce que c'est LE manuscrit. Celui que tout le monde connait, admire, envie, ... mais que malheureusement nous ne publierons pas pour des raisons totalement indépendantes de notre volonté et en particulier de celle de ce cher comité de lecture, que vous autres, merveilleux écrivains ne cessez de réclamer : "Pour le Comité De Lecture Des Editions Mmmmmhhhh."

Bientôt, ils vont nous les envoyer en quadruple exemplaires, pour être sûr que chaque membre révéré du Comité De Lecture reçoive bien Son Exemplaire, le sien, pas celui du voisin, pas celui de la secrétaire, pas celui du chien (tiens, il faudrait penser à ne pas oublier d'en envoyer un au chien), non le sien, qu'il gardera pour le jour où il sera collector, quand l'auteur ira se mousser chez Durant, sera snob comme Beigbeder, imbuvable comme Angot, riche comme JK Rowling, et connu, connu comme Alain qui était si content, si content, vous n'imaginez pas, que le comité de lecture ait lu SON manuscrit, qu'il en ait retenu le titre, et tout et tout.

Cher auteur, cher pauvre petit auteur, si fier d'écrire ces mots : "Pour Le Comité De Lecture", sache qu'aux Editions Mmmmmhhh, que l'on peut considérer comme étant d'assez grosses éditions, pas de vraies grosses, mais de celles qui te font, rêver, oui, aucun doute là-dessus, sache donc que le Comité de Lecture se résume à un homme, LE patron, qui grogne régulièrement contre la manie (maladie) graphomaniaque des français (c'est un naîf, il croit que c'est très français...), et il lui faut 10 minutes pour décider du sort de la pile de quatre manuscrits qui arrivent tous les deux jours sur son bureau. Nous, il nous a fallu vingt minutes pour retrouver ton texte, Alain : La fugue perdue. Bien perdue, en effet.