La Muselivre

Contrairement au producteur de cinéma, au galeriste, à l’agent artistique ou au patron de festival, l’éditeur ne parle jamais d’argent. Plus il est puissant et a pignon sur rue, mieux il prétend n’en jamais gagner. Tout juste, à l’entendre soupirer, parvient-il à l’équilibre. N’était sa passion pour la littérature, il mettrait d’ailleurs la clé sous la porte et partirait cultiver ses carottes à la campagne. Interrogez-le sur son beau métier – dont il vous jure qu’il n’a pas changé depuis Gutenberg –, il prend alors un air de pénitent ou de militant caritatif et répond, un verre de bourbon à la main, sacerdoce, abnégation, sacrifice... Même dans son vaste bureau moquetté, l’éditeur prétend être un modeste artisan qui fabrique, somme toute, d’invendables paniers en osier pour le marché dominical. «Oh, vous savez, le livre, ça ne rapporte rien, ça brasse des chiffres dérisoires…» [...] A l’heure du grand déballage, on rappelle donc avec un certain plaisir l’excellente définition, donnée par Ambrose Bierce, du tartuffe: «Celui qui, professant des vertus pour lesquelles il n’a aucun respect, en retire l’avantage d’avoir l’air d’être ce qu’il méprise.» En rédigeant un savoureux «Dictionnaire du diable», peut-être l’écrivain américain pensait-il à son éditeur. Via La Maman de la Muselivre