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http://www.lefigaro.fr/litteraire/20060309.LIT000000251_les_feux_clignotants_du_bengale.html
Dans ce premier roman, l'auteur, déjà encensé aux Etats-Unis pour un recueil de nouvelles, souligne la difficulté d'être à la fois américain et indien.
GOGOL. GOGOL Ganguli. Drôle de nom pour un jeune Américain, né à Boston en 1968, en pleine époque du «Flower Power». Ses parents sont-ils des universitaires déjantés nourris de spiritualité orientale, et souhaitant donner à leur fils un nom détaché des contingences de l'Amérique de l'époque ? Non. Car si le père de Gogol est bien universitaire, il était lui-même indien ; sa femme aussi. Ashoke et Ashima Ganguli, tous deux bengalis, sont arrivés aux États-Unis peu après le mariage arrangé par leurs familles. C'est à Boston qu'ils ont appris à se connaître, tandis qu'Ashoke poursuivait ses études et qu'Ashima tentait de s'habituer à la vie américaine, et à l'éloignement des siens, bien loin, à Calcutta. Gogol est leur premier enfant. Au départ, il ne s'agissait que d'un prénom provisoire – hommage à l'auteur favori d'Ashoke –, en attendant que le prénom définitif, choisi par la grand-mère d'Ashima, arrive de par-delà les mers. Mais la lettre s'est perdue, la grand-mère est morte, et Gogol est resté Gogol. Jusqu'au jour de son entrée à la maternelle, quand ses parents décident de lui donner un faux prénom, Nikhil, uniquement destiné à l'extérieur. Mais Gogol veut rester Gogol, et exige que la maîtresse l'appelle ainsi. Ce n'est que bien plus tard, quand il sera étudiant en architecture, qu'il décidera de remplacer officiellement Gogol par Nikhil, qui suscite moins de questions. Mais on ne change pas si facilement les habitudes de vingt ans d'existence... On connaissait Jhumpa Lahiri par son premier livre, L'Interprète des maladies, paru en 1999, couvert de lauriers (prix Pulitzer, PEN/Hemingway Award, New Yorker Debut of the Year Award), et immédiatement traduit en vingt-neuf langues ! La romancière, née à Londres en 1967, et élevée à Rhode Island, faisait ainsi une apparition en fanfare sur la scène littéraire. Un nom pour un autre (The Namesake, 2003) est son premier roman. Comme c'est le cas pour tout écrivain encensé à ses débuts, son deuxième livre était attendu avec une impatience mâtinée de méfiance : serait-il à la hauteur du premier ? La barre était haut placée, tant les neuf longues nouvelles de L'Interprète des maladies avaient impressionné par leur maîtrise, leur densité, leur fluidité, la discrétion tchékhovienne avec laquelle la romancière évoquait les petits riens, le passage du temps, et l'écartèlement des Indiens de la diaspora entre deux civilisations, entre deux rapports au monde. Un beau roman d'éducation Un nom pour un autre transforme l'essai : Mrs Lahiri parvient, durant près de quatre cents pages, à développer le thème qui était au coeur de ses nouvelles. Entre 1968 et 2000, on suit Gogol, on le voit évoluer, prendre conscience de sa différence, de son indianité. Petit, il se sent un jeune Américain comme un autre, amateur de sports, de pop music (surtout les Beatles, dont on sait gré à Jhumpa Lahiri de si bien connaître le «double blanc»), fumant un joint de temps en temps, et faisant la fête avec ses copains. Mais, à l'université, il découvre que tous les jeunes Américains n'ont pas des parents comme les siens, ancrés dans les rites et les traditions de leur pays d'origine, et que sa jeunesse, avec les longs voyages, chaque année, dans un autre univers, pour voir la famille à Calcutta, n'a pas été celle de tout le monde. Qu'il vive avec une jeune éditrice new-yorkaise, et soit alors fasciné par l'élégance et l'aisance de sa riche famille bourgeoise, ou avec la fille d'amis de ses parents, bengalis comme lui, Gogol-Nikhil est toujours déchiré entre deux mondes, entre deux cultures, entre deux identités. Un nom pour un autre est un beau roman d'éducation. Jhumpa Lahiri – dont on imagine que le parcours a été semblable à celui de son héros – parle de ce que c'est que d'être américain ET indien à la fois, de la difficulté à assimiler deux univers si différents, de la richesse intérieure qui, finalement, découle de leur alliance. Tout son livre est écrit au présent de l'indicatif, ce qui lui donne un ton comme détaché, factuel, mettant à distance tout pathos. Elle passe avec aisance de l'émotion – notamment lorsqu'elle évoque les rapports de Gogol et de son père – à l'humour : sa peinture des repas de jeunes yuppies new-yorkais de l'an 2000, mordante et hilarante, n'est pas sans évoquer le Pérec des Choses. Un nom pour un autre confirme un grand talent. Anglaise, Américaine, Indienne ? Peu importe. Jhumpa Lahiri est un des jeunes écrivains intéressants d'aujourd'hui.