Joueb.com
Envie de créer un weblog ?
ViaBloga
Le nec plus ultra pour créer un site web.
Débarrassez vous de cette publicité : participez ! :O)

La Muselivre


Liste de textes libres

Blogs Lit

Blogs Non Lit

Pas Blogs

Archives par rubriques

Super I
  • Heileen, de mon faux nom,
  • 25 ans
  • la majorité de mes dents,
  • allergique à l'orthographe (ça va presque mieux en le mentionnant)
  • Le compte à rebours est lancé
  • : allez, soyez sympas, achetez-moi des trucs pour mon anniversaire...
  • Le meilleur du best of the top
  • Mon fil RSS que j'avais oublié de mettre (j'ai quand même déménagé pour ça !)
  • joyce

    Affinités
    de Sarah Waters

    PAR ELIZABETH GOUSLAN
    [06 janvier 2005]


    Affinités, de Sarah Waters, traduit de l'anglais par Erika Abrams, Denoël, 520 p., 25 €. 

    A y regarder de près, Affinités de Sarah Waters réunit tous les ingrédients narratifs propres à décourager le novice de base. Vont en effet défiler sous nos yeux, cinq cents pages durant, une cohorte de revenants blafards, des médiums professionnels fédérés en association, quelques créatures saphiques et la quasi-totalité des habitantes d'une austère prison londonienne. Le tout, à la fin des années 1870, époque victorienne entre toutes, mais assez peu prisée des âmes d'aujourd'hui.


    Au début de l'affaire, on tient donc Sarah Waters pour une originale et son héroïne, Margaret, pour une oie blanche évadée d'un manoir ayant appartenu à Henry James. Patient otage d'une romancière parodique qui connaît sa Jane Austen et son Daniel Defoe sur le bout des doigts, le lecteur se voit roulé dans la farine, ligoté, épaté par la verve et les descriptions mais pas vraiment séduit. Las ! Ces réticences volent en éclat en deux chapitres.


    Car Sarah Waters ajoute à l'érudition (le XIXe siècle anglais est sa seconde maison) un sens de l'enquête, de la psychologie et du mystère qui la rapproche des plus grands limiers de la plume British. Wilkie Collins, maître du genre policier local, est en embuscade. Dickens et Richardson ne sont pas loin. Appelons cela comme on voudra – le charme, la grâce, «l'oreille» littéraire ou le métier –, l'auteur, mélange de dentellière et de forçat, obéit à la définition flaubertienne : «Qu'est-ce que le style ? La précision dans le choix des mots.»


    La narratrice, jeune femme de la bonne société londonienne, est ce qu'il est convenu d'appeler une vieille fille : «J'ai vingt-neuf ans. Dans trois mois, je passerai le cap de la trentaine. Pendant que ma mère déclinera en s'aigrissant, qu'adviendra-t-il de moi ? Je me dessécherai, je deviendrai cassante, décolorée.» Margaret vient de perdre son père adoré quand le récit commence. Dépressive, elle est soignée au chloral et au laudanum, drogues désuètes pour nous mais puissantes.


    Pour tromper son chagrin, elle décide de rendre visite chaque jour aux malheureuses détenues de la prison de Millbank, près de la Tamise. Vocation : dame patronnesse. Etat d'esprit : inquiet. Le premier choc d'Affinités est donc sociologique. Margaret personnifie la grande bourgeoisie confrontée au vaste prolétariat. Mais ce contraste-là n'est pas nouveau. Ce qui lui donne son inimitable relief, c'est le ton de l'auteur.


    La néophyte démasque l'hypocrisie du système pénitentiaire, dénonce sa sourde cruauté, ses complicités sournoises dans un vocabulaire implacable : «Quelque chose dans les mots de la directrice de la prison, écrit-elle, me fit tressaillir. Peut-être était-ce simplement le fait du trousseau attaché à sa ceinture, le carillon discordant et arythmique des clefs qui ponctuait tout ce qu'elle disait. Toujours est-il que sa voix avait à mes oreilles un accent de ferraille. Jamais, j'en étais certaine, elle ne pourrait y mettre de tendresse...»...


    Et de la tendresse, Margaret, elle, en a à revendre. Comment apporter du réconfort à toutes ces âmes perdues, à ces voleuses de quatre sous, à ces orphelines délinquantes, à ces filles mères ayant abandonné leur bébé, croupissant dans des geôles crasseuses, privées de nourriture, de lumière et de parole ? L'une d'entre elles va bénéficier de l'aide active de sa visiteuse. Elle s'appelle Selima mais Margaret voit en elle le duplicata de la Veritas de Crivelli, Madonne rousse mélancolique. Elle se prétend «médium sensitif». Lors d'une séance de tables tournantes qui a mal fini, une participante est morte, et c'est Sélima que l'on accuse du décès.


    Le récit bascule alors subtilement dans une étude de la vogue spirite qui secoua le XIXe siècle. Aux scènes de prison succèdent de petits intermèdes comiques relatant les séances de convocation des esprits. Y sont réunies quelques dames désoeuvrées et crédules, obéissant scrupuleusement aux injonctions d'un soi-disant guide médiumnique. Il se nomme Peter Quick, se vêt en dandy de Savile Row, terrorise sa basse-cour, et vole des baisers dans l'obscurité. Il ne vole évidemment pas que des baisers.

    Ce tandem, la jolie médium et son guide, revenant beau parleur, fait irrésistiblement songer à un couple d'escrocs. Mais Selima a l'art de troubler sa protectrice et le lecteur. Et si, malgré tout, entre deux arnaques, les esprits se matérialisaient vraiment ? Comment expliquer sans cela une violette brusquement apparue dans la cellule de Selima, puisqu'aucun objet ne pénètre à Millbank ? Et cette mèche de cheveux déposée dans la chambre de Margaret, et ce discours inspiré et cette physionomie éthérée ?

    Astucieuse, la spirite concède même avoir parfois recours à des tours de passe-passe, comme celui de l'aiguille à tricoter avec laquelle on trace des lettres sur la chair avant de l'imprégner de sel, ce qui rend encore plus crédibles, par contraste, certains événements inexplicables. Margaret, créature cartésienne, éduquée, pétrie de références logiques se laisse ébranler. Et le lecteur à sa suite....

    Le seul authentique médium de cette histoire, est, on s'en doute, Sarah Waters. Elle a mitonné un polar gothique où le libertinage flirte avec l'occultisme. Cette jeune femme de trenet ans, galloise stimulée par le sensationnalisme macabre vient de peindre une fresque à la Jérôme Bosch revue et corrigée par Francis Bacon. C'est qu'elle n'en est pas à son coup d'essai. Avec Du bout des doigts et Caresser le velours, cette experte des brouillards londoniens et des crimes qui s'y évaporent a été élue en 2002 «jeune auteur de l'année», par le Sunday Times.

    Marginale, elle rédige une thèse sur la littérature gay, vend des livres dans une librairie, étudie l'histoire de la pornographie, enseigne à Londres. C'est une J.K. Rowling qui aurait décidé de pervertir Harry Potter, une subversive intelligente et agaçante tant elle est douée. Ouvrez son livre. La porte rouillée de la prison de Millbank va se refermer sur votre personne, dans un grincement de verrous !...

    Le Figaro Littéraire

     

    Les dernières sirènes d'Ulysse

    PAR CLAUDE MICHEL CLUNY
    [03 juin 2004]

    Voici donc Ulysse revisité. Pourtant, il n'y a que huit ans de cela, en 1996, la Bibliothèque de la Pléiade bouclait le second tome de l'opus joycien. Il est vrai qu'Ulysse, pourtant de dimensions considérables, y était enfoui sous un immense catafalque de commentaires (1). Le même préposé que celui qui signe aujourd'hui dénonçait dans ces pages un «Joyce, mode d'empois». Le roman fut sans doute sauvé par l'édition parallèle de poche (Folio n° 2830). Dont le texte, nu alors comme aux jours de la création, était également celui de la même et encore sacro-sainte traduction «historique» éditée, en 1929, par les soins d'Adrienne Monnier.

    Un tribunal américain ayant condamné pour obscénité des extraits publiés en revue outre-Atlantique, les Français furent donc les premiers à pénétrer sans armes ni gloses dans le glauque univers de Bloom et de Nausicaa, entraînés dans les aventures du nouvel Ulysse, comme autrefois dans celles du héros Homère. Il y avait, certes, de quoi s'étonner et s'interroger quant aux intentions de Joyce : mais n'est-ce pas le rôle de la littérature que de poser problème ? Du moins, avant qu'elle ne sombre sous la chape textuelle.

    En postface à la nouvelle traduction, M. Jacques Aubert (voir interview ci-contre), qui fut maître d'oeuvre de l'édition de la Pléiade, note très justement qu'il n'est pas de version éternelle d'une oeuvre si prestigieuse qu'elle soit. Ce qui est vrai de l'interprétation musicale ne l'est pas moins de l'interprétation littéraire. Car le temps, la connaissance des textes, la sensibilité de l'époque, l'évolution de la langue changent notre rapport avec les oeuvres. Nous ne traduisons plus Pétrarque comme au temps de la Renaissance, et des découvreurs aussi précieux que Maurice-Edgar Coindreau ou Alexandre Vialatte recommandaient de remettre, un jour prochain, leurs propres travaux sur le métier.

    Version «historique» que celle d'Auguste Morel, bien évidemment. Non du seul fait qu'elle est la première, mais parce qu'elle releva un défi qui en eût fait reculer plus d'un. L'affaire fut assez embrouillée. On y versa de l'enthousiasme, de la chicane, de l'argent que l'on n'avait guère, des complicités de la dernière heure. Valery Larbaud abandonna le gros oeuvre ; Jacques Benoist-Méchin, qui était très lié aux dames de la rue de l'Odéon – Sylvia Beach, éditrice de la publication princeps, et «la petite Monnier», qui fut celle de la version française –, y prêta un peu la main. Léon-Paul Fargue y mit l'argot des noctambules ; bref, chacun contribua au pudding joycien version rive gauche.

    Le Maître, consulté de temps à autre quand personne ne comprenait vraiment plus ce qu'il avait voulu dire, jouait les Tirésias, plus intraitable qu'aveugle, et imposait de surcroît des changements drastiques. La malheureuse Adrienne Monnier, émue par les déboires du grand homme et sa (fort relative) solitude, ne savait pas encore que si le génie ne devient pas la proie des autres, il les dévore. Car le Minotaure irlandais ne cessant de revenir sur son texte, et sur ses larges besoins de menue monnaie, la gageure tournait au cauchemar. Une «atmosphère de travail exécrable», note Jacques Aubert, ce qui ajoute au mérite des intervenants.

    Car il s'agit «d'une bonne traduction». On avait porté pour la Pléiade, si la mémoire ne me faut, quelques retouches de détail à cette version. Mais rien qui annonçât une reconquista du territoire ulysséen originel.

    Quatre-vingts ans, c'est peu, mais enfin tout s'accélère de nos jours. L'entreprise, voulue par les ayants droit avec assentiment de l'éditeur, était aussi hardie qu'avant-hier. Moins par l'ampleur relative de l'ouvrage que par sa nature hétérogène, sa conception évolutive, son ambition totalisante, son arsenal verbal et sa volonté curieusement aussi convulsive que réfléchie de tordre le coup à la langue anglaise pour lui faire cracher Dieu sait quoi ! Vengeance d'Irlandais ? Le langage est la meilleure, sinon l'unique patrie de l'écrivain.

    Pour Joyce, le gaélique tombé en quenouille paraissait indigne d'être restauré, et moins encore magnifié. Le gaélique est en si mauvaise passe (10% de la population actuelle le comprennent, dit-on), qu'il semble, à l'instar de son ancien parent, langage de l'île de Man, au bord de la disparition.

    Dans un premier temps, en effet, l'irascible jeune James s'en prit vertement à ses aînés, surtout à ceux qui avaient choisi de vivre en Angleterre, déserteurs, selon lui, d'une patrie en déshérence. «Ce jeune homme est fier comme Lucifer», écrivait le poète George Russell, un des animateurs de l'Abbey Theatre de Dublin, en le recommandant à Yeats (2). Il est hors de doute que la sensation de porte-à-faux qu'éprouve Joyce, par rapport à la langue qui lui échoit, exacerba plus que le désir, la volonté obsessionnelle de créer une oeuvre qui étonnerait l'univers, la fonderait sur un langage nouveau.

    Il va donc engranger, à toutes fins utiles, tous les vocables possibles : les synonymes, les termes rares, les termes médicaux, philosophiques, pillés avec un immense appétit – ce n'est certes pas son admirateur Ezra Pound (ils se voient beaucoup dans les années 20), qui le freinera dans cette voie. Joyce est un insatiable collecteur de mots, de noms, de détails : un homme de catalogue, comme nous pouvons le dire de Rabelais, de Whitman. Mais sans les laisser intacts. Il va les tordre, les compresser, forger des mots-valises, des néologismes. Le texte est mis en ébullition. La soupe ne sera pas claire pour autant, on pourrait s'en douter.

    Car Joyce s'en prend d'un même élan à la syntaxe, à la nature de l'énoncé, au continuum logique, asservissant la langue aux caprices les plus ludiques, en faisant l'écho des hoquets de conscience du monologue intérieur, forme qui apparaît comme son unité de chant. Le discours est déconcertant, à la manière des rêves, des conversations en coq-à-l'âne, sans lien, sans échange, sans structure, comme nous pouvons en entendre entre bonnes gens sous un Abribus. La structure, cependant, existe, sous-jacente. Elle reprend en parodies élégiaques ou grotesques, en vulgarités pas indignes de Juvénal, ou de Catulle, les épisodes de l'Odyssée. Pour aboutir à une épiphanie triviale ?

    Ulysse naît sur les pas des Gens de Dublin, dans les brouillons du Portrait de l'artiste ; et s'achève au seuil d'un cul-de-sac : work in progress devenu obsessionnel d'un langage à naître dont Finnegans Wake sera le mirobolant magma. Pour le lecteur, c'est passer de la délicieuse Chasse au Snark du révérend Carroll à une sorte d'esperanto martien, une fois la certitude acquise qu'il n'y a pas de Martiens. Le snobisme n'a pas peu fait pour la gloire de Joyce. «Qu'importe le fait que son oeuvre, pour le lecteur moyen, fût illisible ! Elle n'en avait que plus de prix pour ceux qui se flattaient de la déchiffrer.» La formule de Girodias est plus que jamais actuelle (2).

    Etait-il urgent, et nécessaire, de retraduire Ulysse ? Pourquoi pas ? Ce genre de gageure doit être un excellent incitatif à tout faire, sauf recopier ses prédécesseurs. Il convient de réinventer le monument. De faire d'un «bonbon à l'orange», un «rocher à l'orange»... Ou de revenir à la littéralité : «Je sens la sueur publique de moines !» (page 270), au lieu de «Je sens la sueur monacale.»

    Soyons sérieux, et M. Aubert sait l'être pour tous. S'il a conservé un épisode de la version Auguste Morel-Stuart Gilbert – la grande et belle coulée verbale imitative de divers classiques de l'épisode «Les Boeufs du Soleil» –, il a distribué les autres entre des écrivains : Tiphaine Samoyault, Patrick Drevet et Sylvie Doizelet (voir ci-contre) ; un traducteur littéraire, Bernard Hoepffner ; des «universitaires familiers de l'oeuvre de James Joyce, Marie-Danièle Vors, Pascal Bataillard, Michel Cusin et (lui) -même» , nous informe de la postface.

    Le travail fut donc coordonné, les difficultés et les trouvailles confrontées, chacun apportant sa pierre sans la jeter à la tête des autres, ce qui faillit bien arriver dans l'équipe initiale, quatre-vingts ans plus tôt. La mosaïque joycienne ne facilite pas les choses, les jeux de mots, allusions, mutilations et emprunts divers les compliquent à souhait. «Ce qui est en cause, c'est la langue et l'écriture elles-mêmes, et cela fait beaucoup d'histoires, dès que l'on y touche», écrit Jacques Aubert dans son style inimitable... Et d'ajouter : «C'est ainsi que le sens lui-même se trouve mis en cause, au grand dam du traducteur.» Candide s'en serait douté.

    L'autre principe consista à ne pas déranger l'ordre des mots dans la phrase anglaise – quand phrase il y a... – par l'ordre français. M. Aubert cite à titre exemplaire le souci de Joyce de mettre chaque terme à la place qui doit être la sienne. Ce qui rappelle irrésistiblement : «Vos beaux yeux, belle marquise...» Savoir tourner la phrase dans l'ordre de la logique ou de l'efficace reste le devoir de l'apprenti. Le discours anglais, du fait de la morphologie des langues, n'est pourtant pas le discours français... Il passe, parfois, chez nos doctes, une naïveté rafraîchissante. Traduire mot pour mot et vers pour vers, ce n'est pas d'avant-garde.

    Position sur laquelle souffle, semble-t-il, l'air du temps. Un autre exemple nous en est donné par un traducteur de Hölderlin, Philippe Marty, dans cette assertion : «Traduire, ça ne consiste pas à substituer un mot de sa langue à un mot étranger, mais à rester à la place du mot qu'on traduit. Ça consiste à bouger le moins possible.» (3) Qu'est-ce qui ne doit pas bouger : soi, ou le sens ? Le texte, lui, «bouge» forcément. Voilà bien des ferments de levure pour le pain, souvent assez sec, par parenthèse, des traducteurs.

    Qui, de nos pères et de nos pairs n'entendit résonner l'antienne qu'après tel ou tel, comme disent nos amis helvètes, on ne pouvait plus écrire ! Quelques-uns s'enhardissent pourtant à le faire après avoir entendu le supposé Homère. Aujourd'hui comme hier, le problème n'est pas tant de pouvoir écrire après Ulysse que de le lire....

    (1) Voir Le Figaro littéraire, 9 mars 1996.

    (2) Maurice Girodias : Sur James Joyce dans Cahiers de La Différence n°s 9-10, janvier 1990.

    (3) Dans Poésie 2004. Hölderlin, actuel/inactuel. N° 100, page 147, mars 2004. Cette «centième» livraison est un très bel ensemble composé d'études et de traductions nouvelles, sous la direction de Jean-Yves Masson. A lire, relire et consulter. Et deux jeunes poètes hölderliniens à suivre : Philippe Marty et Nicolas Waquet.

    Ulysse

    de James Joyce

    Nouvelle traduction Gallimard, 984 p., 34 €.

    En librairie le 10 juin.



    A lire également

     

    Heureux qui comme Larbaud

    Une couverture couleur drapeau grec

    Tiphaine Samoyault : «Le dialogue a été fort»

    Sylvie Doizelet : «Un défi à chaque ligne»

    Jacques Aubert : «Joyce travaillait à dérégler le langage»

    «Bloomsday», la fête des sens

    Heureux qui comme Larbaud

    PAR BERTRAND GALIMARD FLAVIGNY
    [03 juin 2004]

    En février 1921, Valery Larbaud fut de nouveau alité à cause d'une mauvaise grippe. Au même moment, Sylvia Beach, la directrice de la librairie Shakespeare and Company, lui fit parvenir des numéros de la revue de The Little Review, dans lesquels avaient paru les treize premiers épisodes du nouveau roman de l'Irlandais James Joyce.


    La réaction ne se fit pas attendre : «Je suis en train de lire Ulysses. En fait, je ne peux rien lire d'autre, je ne peux même pas penser à autre chose. Tout juste ce qu'il me faut...», devait-il écrire à la libraire. Une semaine plus tard, nouvelle lettre : «Chère Sylvia, je suis absolument fou d'Ulysses. Depuis qu'à l'âge de 18 ans j'ai lu Whitman, aucun livre ne m'a inspiré le même enthousiasme...» Et Larbaud de suggèrer d'en traduire quelques pages pour la NrF, et ,à défaut, les Ecrits Nouveaux.


    Le 7 décembre suivant, il donnait une conférence à la Maison des Amis du livre, la boutique d'Adrienne Monnier, conférence consacrée à Joyce, qui allait être maintes fois reprise, et aussi traduite pour la revue The Criterion.


    Valery Larbaud renonça à la traduction d'Ulysses. Trop de travail. Il ne s'en désintéressa pas pour autant, et accepta de superviser celle d'Auguste Morel. Dans sa biographie de Larbaud, Béatrice Mousli (1) cite une lettre adressée à Adrienne Monnier, dans laquelle l'auteur de Fermina Marquez raconte une séance de travail entre les traducteurs, rue de l'Odéon : «C'était amusant, oui, cette séance de traduction dimanche. Mais je n'étais guère en forme. Sylvia trouvait les expressions les plus françaises, et moi, abruti par une mauvaise nuit et de peur d'être en retard à la gare de Lyon où Ray m'attendait, je faisais des efforts lamentables pour me rappeler les expressions populaires, que pourtant, je thésaurise dans mon coeur en tout pays...»


    La traduction d'Ulysses ne s'acheva pas dans la sérénité et provoqua la brouille définitive entre Adrienne Monnier et Larbaud..

    (1) Flammarion, 1998.

    Une couverture couleur drapeau grec

    [03 juin 2004]

    Joyce commença réellement la rédaction d'Ulysses en 1914, et l'acheva deux ans plus tard. Curieusement, cet ouvrage fut édité pour la première fois en France, mais par une librairie très anglaise, la Shakespeare and Company que dirigeait Sylvia Beach.


    Imprimé à Dijon par Maurice Darantière, il y sortira le 2 février 1922, le jour même des 40 ans de son auteur. L'édition originale, sous couverture couleur «drapeau grec», a été tirée à 1 000 exemplaires, dans un format in-quarto, dont 100 sur Dutch papier fait à la main, signés par Joyce lui-même, plus 149, numérotés de 101 à 250, également sur papier fait à la main, mais non signés. James Joyce aura trouvé en Sylvia Beach une éditrice entièrement dévouée à sa cause, puisque les trois seuls ouvrages qu'elle publia sont de lui.


    Elle lui laissa, avec beaucoup de patience, carte blanche pour la correction des épreuves ; et lui reversa pas moins de 66% des bénéfices !


    Après la levée de la censure touchant Ulysses, le livre put enfin être distribué aux Etats-Unis, au début de 1934 : en un mois, Random House vendit plus d'exemplaires que Shakespeare and Company pendant douze ans. On l'a oublié, mais ce texte fut jugé pornographique sous l'influence et les cris de La Société pour la suppression du vice, et interdit notamment aux Etats-Unis, qui ne renonçèrent à l'interdiction de la vente qu'en 1931.


    Hemingway se chargea de passer en contrebande les premiers volumes souscrits par ses compatriotes. L'année suivante, 400 exemplaires du second tirage étaient saisis par la douane américaine, et 500 partaient en fumée dans la «King's Chimney» de Londres. Le monologue intérieur d'une femme, composé par un homme, avait de quoi déranger. «J'ai créé l'épopée de notre temps. Personne ne peut le nier. Homère lui-même était à mes côtés quand j'écrivais... Mon Ulysses est une épopée de la chair. Tandis que d'autres se tournent pompeusement vers les étoiles, j'ai étudié, moi, le rythme mystérieux des intestins humains», notait Joyce.


    La traduction française d'Ulysse(*), imprimée à Chartres, parut à La Maison des amis des livres dirigée par Adrienne Monnier, le 18 février 1929 et fut tirée à 1 200 exemplaires dont 25 sur Hollande van Gelder, 100 sur Arches et 875 sur alfa vergé, plus 200 hors commerce. L'idée de traduire Ulysses s'était affirmée dès 1922.


    Les premières difficultés surgirent en 1924, lorsque des fragments parurent dans le n° 1 de la revue Commerce. Valery Larbaud estima approximative la version de Jacques Benoist-Méchin, tout en refusant de traduire seul la totalité de l'oeuvre. On lui adjoignit deux acolytes, Auguste Morel et Stuart Gilbert, l'arbitrage de Joyce étant sollicité pour les passages les plus épineux. Réimprimée deux fois en 1929 et 1930, «la» traduction n'avait jusqu'à présent jamais été remplacée. Très épais, avec 870 pages, dans un format atypique, l'Ulysse français pèse 5 livres (2 kilos et demi) !...


    B. G. F.

    (*) Sans «s» en français.

    Dans son catalogue n° 37, la libraire Henri Vignes, à Paris propose un exemplaire de l'originale de la traduction française sur alfa vergé, à 1 000 €. Un exemplaire de l'édition originale non coupé, sur Dutch, a été vendu 239 621 € le 13 avril 2004, à New York, par Sotheby's.

     

    Tiphaine Samoyault : «Le dialogue a été fort»

    Propos recueillis par Sébastien Lapaque
    [03 juin 2004]

     «J'ai lu Ulysse, pour la première fois, dans la traduction d'Auguste Morel, Stuart Gilbert et Valery Larbaud, mais en partie seulement. J'ai le souvenir d'un éblouissement constant et, en même temps, d'un grand embarras face à un texte que je n'ai pas réussi à lire en entier. J'y suis revenue plusieurs fois, dans le désordre, avant d'avoir l'occasion de lire en anglais au cours de mes études. Cette fois-ci, je l'ai lu d'une traite, de manière presque monacale, sans tout comprendre, mais en essayant de décomposer les choses, crayon en main. C'est le texte anglais qui m'a permis de connaître la totalité de l'oeuvre.


    Lorsqu'on m'a proposé de participer à une traduction d'Ulysse au sein d'une équipe mixte associant des spécialistes de Joyce et des écrivains n'ayant pas d'expérience de la traduction, j'ai pris cela comme une des chances de ma vie. Je me suis retrouvée dans un état de véritable exaltation, j'avais peur que le projet n'aboutisse pas, ou qu'on me le retire. J'étais très intimidée, mais je trouvais extraordinaire d'avoir à passer autant de temps avec ce texte.


    Jacques Aubert, qui coordonnait l'ensemble, a demandé à chacun ce qu'il souhaitait traduire en priorité. J'ai proposé Pénélope, avec le grand monologue intérieur de Molly Bloom. A ma grande surprise, Jacques Aubert a accepté. C'était une deuxième chance. J'avais avec ce monologue une proximité très forte. J'avais l'impression de pouvoir le respirer, de pouvoir en faire quelque chose.


    Ensuite, j'ai demandé les Sirènes, un chapitre très musical qui nécessite beaucoup d'attention à la forme et à la phrase. Des désistements m'ont permis d'avoir la charge de deux autres chapitres, Cyclope, cette grande conversation de bistrot argotique et le monologue de Bloom dans Lestrygons. Des styles et des voix très variés, des expériences de traduction différentes et un accès au texte vraiment multiple qui a produit chez moi tout types d'états.


    Pendant trois ans et demi, être accompagné par un tel livre, cela m'a aidée pour tout. C'est une expérience qui vous donne quelque chose, justifiant ce qu'on n'ose pas toujours revendiquer soi-même, en ayant peur de paraître prétentieux, scandaleux, inactuel... Toutes ces choses, le texte les disait pour moi, et je pouvais m'abriter derrière lui tandis que je travaillais dessus. Cette façon de travailler les langues et d'inventer la langue, ce n'est pas fréquent. J'ai pu la vivre à travers Joyce, avec une lecture de son roman attentive à la forme, aux liaisons, à l'articulation du sens et des mots. Le traducteur est sans cesse provoqué par Ulysse, par ses multiples énergies de sens que la traduction a du mal à rendre. En même temps, il faut aussi savoir revenir à une lecture tout à fait naïve, au plus près du texte et des personnages, en vivant des choses avec eux.


    Je me suis trouvée pendant plusieurs années à regarder tout particulièrement dans les journaux ce qui se passait en Irlande à cause de ça. Je me suis sentie plus proche de Leopold Bloom que lors de mes premières lectures, il m'est arrivé de souffrir pour lui... Une longue fréquentation de la littérature fait perdre cette expérience de la confusion. Le travail de traduction rétablit tout le spectre possible des lectures d'un texte. Pour moi, cette retraduction fut donc une aventure exaltante. Je crois qu'elle se justifiait. Non qu'Ulysse ait été mal traduit auparavant. Mais un texte de cette ampleur mérite plusieurs traductions, qui sont autant de propositions de lecture.


    La proposition de Morel, Gilbert et Larbaud est exceptionnelle, elle restera dans la mémoire des lecteurs, mais il avait de la place, comme c'est le cas dans d'autres langues, pour une autre proposition. J'en étais persuadée au départ, et je ne me sentais pas embarrassée. Je ne crois pas que nous ayons fait une meilleure traduction que la précédente. Elle a des avantages, elle se fonde sur une meilleure connaissance des échos souterrains du roman que la précédente. Nous avons bénéficié d'une connaissance du texte supérieure. C'était important de travailler au sein d'une équipe mixte.


    En tant qu'écrivain, on prend plus volontiers le risque de l'expression, on propose des choses que les autres n'osent pas, notamment en ce qui concerne les sonorités, auxquelles on est plus sensible. Inversement, les universitaires spécialistes de Joyce possèdent la connaissance du texte, la maîtrise de ses références. Le dialogue a été fort.»...

     

    Sylvie Doizelet : «Un défi à chaque ligne»

    [03 juin 2004]

     «Monsieur de la Palice, railla Stephen, vivait encore un quart d'heure avant sa mort.» Sylvie Doizelet, écrivain et traductrice, a pris un malin plaisir à rédiger ce genre de phrases. Et l'exercice, auquel elle a pourtant consacré de très longs mois, ne lui a laissé que de bons souvenirs. C'est elle qui a eu l'honneur de travailler sur le chapitre concernant Charybde et Scylla (page 233 de la nouvelle édition), un moment de pur Joyce : poétique, délirant, savant. «Les passages sur le thème du fantôme et d'Hamlet m'attiraient tout particulièrement», reconte-elle, avec enthousiasme.


    Il faut dire que Sylvie Doizelet est hantée par les fantômes : la plupart de ses récits, mais aussi d'autres traductions ont pour toile de fond, ou des personnages ayant existé, à qui elle redonne vie (1) ou une ville fantôme (2). Dans son roman L'Amour même, elle a même «revisité» Bruges-la-Morte, le texte mythique de Georges Rodenbach, l'histoire d'un veuf qui croit revoir sa femme morte.


    Une véritable obsession pour les fantômes qu'elle partage avec Joyce. Au point où l'on pourrait se demander qui, de l'auteur d'Ulysse ou de sa traductrice, a créé ce passage : «Qu'est-ce qu'un fantôme ? dit Stephen plein de vibrante énergie. Quelqu'un qui s'est évanoui dans l'impalpable, par la mort, l'absence, le changement de monde.» Un romancier n'est-il pas tenté d'intégrer sa vision, son propre style dans une traduction ? «Il est évident que pour un «écrivain traducteur», le travail est plus personnel. Cela se fait naturellement, sans pour autant s'approprier l'oeuvre», répond celle qui a commencé à traduire «sur le tard», après la publication de ses trois ou quatre premiers livres.


    Une chose est sûre : il y a une nette différence entre le travail d'un traducteur professionnel et celui d'un écrivain qui se prête à l'exercice. «C'est vrai, mais on peut s'effacer sans forcément se nier.»


    Alors comment a-t-elle «affronté» Ulysse ? «C'était un défi à chaque ligne, explique la jeune femme. Nous nous sommes attaqués directement au texte anglais, qui était loin d'avoir épuisé toute la langue et toute la richesse de James Joyce.» Preuve, s'il en fallait une, de cette abondance de possibilités, pour chaque phrase traduite, Sylvie Doizelet a dû composer une dizaine de versions.


    Et, pour elle, bien qu'elle juge la première traduction admirable, tout grand texte nécessite d'être retraduit périodiquement. A la fin, souligne la romancière, cela devenait un jeu de devinette : chercher ce que les premiers traducteurs avaient pu trouver, eux qui ont dû travailler dans l'urgence. «Je vous rappelle que le texte français avait paru avant l'édition anglaise !», dit-elle. On peut utiliser le point d'exclamation, en effet !...


    Mohammed Aïssaoui

    (1) Lost et L'Amour même (tous les deux chez Gallimard).

    (2) Vies secondes, de James Tony, traduit de l'anglais par Sylvie Doizelet (Gallimard, collection Connaissance de l'inconscient). Un essai qui s'interroge sur la frontière entre la folie et la raison.

     

    Jacques Aubert : «Joyce travaillait à dérégler le langage»
    Spécialiste de Joyce et de Virginia Woolf, Jacques Aubert a dirigé les deux premiers volumes de Joyce, parus dans la Pléiade en 1982 et 1995. Il a tout naturellement été choisi par le petit-fils de l'écrivain, Stephen James Joyce, pour mener à bien cette nouvelle traduction d'Ulysse.

    Propos recueillis par Bruno Corty
    [03 juin 2004]

    LE FIGARO LITTÉRAIRE. – En 1982, année du centenaire de la naissance de Joyce, vos déclarations sur la nécessité de revoir la traduction d'Ulysse avaient suscité un tollé chez les «joyciens». Aviez-vous été surpris ?
    Jacques AUBERT. –
    Je peux comprendre qu'à l'époque mes propos aient provoqué une certaine émotion. Gallimard a d'ailleurs choisi de reprendre, dans le deuxième volume de la Pléiade Joyce, en 1995, la traduction originale d'Ulysse. Reste le problème de fond. Les lecteurs changent et la lecture même change. Dans le cas d'un auteur moderne, il est important d'essayer de saisir un peu le mouvement, la trajectoire de son œuvre. Avec Ulysse, il y avait matière.

    On parle souvent de la traduction de 1929 comme étant celle de Larbaud, jetant dans l'ombre le malheureux Auguste Morel...
    La première traduction d'Ulysse est effectivement celle de Morel. En annexe, nous publions une note qui porte sur les documents échangés entre les traducteurs et James Joyce. Nous avons ces documents dactylographiés avec la liste des questions posées et, en face, les réponses de Joyce. De toute évidence, c'est le travail de Morel. Il est néanmoins équitable qu'hommage soit rendu à Larbaud pour le discernement qu'il a eu dans son repérage de l'œuvre de Joyce dès 1920. N'oublions pas que son enthousiasme n'était pas partagé par un grand nombre de gens. Il a fallu qu'il fasse une véritable campagne pour qu'on l'écoute. Larbaud a joué un rôle inestimable en faisant son possible pour faire avancer cette traduction. Ensuite, il a refusé de la prendre en charge parce qu'il était déjà très occupé avec son œuvre, et très fatigué.

    En 2000, le petit-fils de Joyce demande à Gallimard de mettre en chantier une nouvelle traduction d'Ulysse, placée sous votre contrôle. Vous choisissez une équipe et non un traducteur unique, pourquoi ?
    Ce qui m'est apparu, dès le départ, c'est qu'il fallait que cette nouvelle traduction soit confiée à plusieurs personnes. Ce n'est pas simplement pour céder à l'air du temps, par influence, par exemple, d'un projet comme la nouvelle traduction de la Bible. Nous avions l'impératif d'en terminer pour 2004, et le compte à rebours faisait qu'il me paraissait a priori difficile de conduire ce projet de façon rigoureuse avec un seul traducteur. La traduction collective n'est pas une solution de facilité du tout. En particulier dans un cas comme celui-ci, où il y a dans le texte énormément de résonances, d'échos, de répétitions qui font, en plus, l'objet de variations.

    Pourquoi avoir fait appel à des écrivains ?
    Ça me paraissait, et intéressant, et important. D'une certaine manière, c'était extrapoler et appliquer l'expérience de Larbaud. Si, précisément, il avait été utile, fructueux, d'avoir Larbaud, c'était bien l'indication qu'il y a dans l'œuvre de Joyce une dimension de recherche de la part d'un créateur. Ulysse, c'est sept ans de travail qui se situent à l'articulation de sa carrière littéraire. Il commence Ulysse en utilisant des fragments de Portrait de l'artiste, et se trouve, à la fin, au seuil de Finnegans Wake. On a une recherche in vivo de l'écriture, et il me semblait que c'était de nature à parler à des écrivains. C'était l'occasion de confronter des créateurs à la création.

    Traduire vous-même le premier épisode, c'était une façon de mettre tout le monde en confiance, de rassurer ?
    Traduire Télémaque était l'occasion d'attirer l'attention sur un certain nombre de difficultés. J'ai produit, pour la première réunion, un document qui faisait apparaître certains types de fonctionnement. C'était presque pédagogique. Dès le départ, il fallait nous mettre d'accord, par exemple, sur la traduction des nomenclatures des rues, des noms propres, des surnoms. Même sur des questions relativement simples en apparence, il était impératif d'arriver à une règle commune. Peut-être en raison de mon expérience du texte, j'ai fait apparaître que, précisément, tout le travail de Joyce consistait à dérégler le langage. Ce dérèglement n'apparaît pas de la même façon tout au long du texte. Dans les deux premiers épisodes et dans le quatrième, les choses sont assez simples. Et puis, petit à petit, ça se complique.

    Joyce joue sans cesse avec les mots et les langues. N'est-ce pas là que réside le pus gros risque de cette traduction ?
    Joyce nous dit en substance: dans la lecture, il y a de la traduction. Il le dit et le met en acte. Buck Mulligan, lui-même, commente son surnom dès la deuxième page d'Ulysse. Nous avons pris le parti de ne pas traduire «Buck». Laisser le surnom anglais, à partir du moment où il est éclairé par le reste du texte, ça fait partie de ce mélange des langues auquel Joyce commence à procéder. Dans le troisième épisode, parmi les pièges que Joyce glisse, il y a «Los demiurgos». «Los» pouvait être entendu comme l'article correspondant à «demiurgos». En fait, tout le contexte indique que ce «Los» est un nom propre emprunté à William Blake et que, donc, il ne faut pas le mettre en italique comme le mot qui suit. Cela fait partie de ces nombreux pièges polyglottes. C'est un des aspects par lesquels Ulysse a déjà, si j'ose dire, un pied dans Finnegans Wake.

    Par rapport à Morel, vous aviez tout de même l'apport de décennies de recherches universitaires sur Joyce ?
    Bien sûr. Il y a eu des travaux tout à fait importants sur les allusions littéraires, les citations déguisées. J'ai utilisé une grande partie de ce travail de recherche dans l'élaboration de la Pléiade. Mais, vous savez, dès 1929, Joyce ayant éclairci un certain nombre de points avec ses traducteurs, la traduction française a été utile aux Français, bien entendu, mais aussi aux Anglo-Saxons.

    Quatre ans après le début de l'aventure, quel bilan faites-vous de l'aventure Ulysse ?
    La mayonnaise a pris. Je parlerais même d'une certaine jubilation, d'un plaisir à la fois individuel et collectif. Nous étions tout tristes de nous arrêter à l'automne dernier. Certains étaient si exaltés qu'ils se disaient prêts à se lancer dans Finnegans Wake, c'est dire!

    «Bloomsday», la fête des sens

    M. A.
    [03 juin 2004]

    Ce 16 juin, James Joyce sera fêté de la plus belle des manières : en mettant tous vos sens en éveil. En effet, le Centre culturel irlandais, en partenariat avec Le Figaro, célébrera, à Paris, le «Bloomsday», en référence aux plus beaux et aux plus étonnants passages d'Ulysse : les déambulations d'un Dublinois nommé Leopold Bloom. D'après le centre culturel, ce récit du 16 juin 1904 – on fête donc le centenaire – constitue «une révolution de style où les détails de la vie ordinaire sont élevés au rang d'événements majeurs et de symboles. Aucun sentiment et aucun des cinq sens de la nature humaine n'est ignoré.». Le «Bloomsday» sera fêté dans le monde entier. Seule fausse note en Irlande, où cette célébration et une grande exposition consacrée à Joyce, organisée par la Bibliothèque nationale irlandaise, sont menacées par une législation protégeant les auteurs et leurs descendants....


    Le centenaire sera célébré du 14 au 27 juin. Programmes et informations sur Internet : www.centreculturelirlandais.com



    Modèle de mise en page par Milouse - Version  XML   atom