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C’est ma première critique de livre, soyez indulgents.
Note : A-
(Disons tout de suite que je ne monterais probablement jamais jusqu’à A+)
Eugene est un homme respecté et respectable. Il milite, à travers son journal, The Standart, pour la liberté, la vérité et le droit contre la tyrannie du nouveau gouvernement militaire nigérian, malgré les menaces, la violence, et les emprisonnements répétés de son rédacteur en chef. Il a reçu par le passé un prix des Droits de l'Homme d'Amnesty World, il est considéré dans sa congrégation religieuse comme un modèle de foi et d'abnégation, et sa fille, Kambili, quinze ans, la narratrice de L'hibiscus pourpre le vénère comme un dieu et ne rêve que d'une chose : que son père soit fier d'elle. A tout prix. Pas parce qu'elle le veut, cependant, mais parce qu'elle en a besoin. Physiquement besoin. Parce que le citoyen admiré, le catholique admirable est un tortionnaire.
Eugene est un homme intraitable, un homme d’idées et d’absolus. Absolu dans ses positions politiques, il l’est aussi dans le sphère privée, obsédée qu’il est par l’idée de perfection : la perfection blanche (Eugene est noir), la perfection divine. Chaque minute des journées de ses enfants est comptée, presque chronométrée, déterminée par un emploi du temps si précis qu'il délimite même le temps familial dans une petite case bien nette. Leurs relations sont réduites au strict minimum : pas d'amis -- Kambili et son frère Jaja doivent courir pour sortir de l'école au risque de se faire sévèrement punir si ils dérogent à cette règle -- ; pas de famille -- les deux enfants ne connaissent presque pas leur tante, la soeur de leur père, ni leurs cousins, et encore moins leur grand-père, un vieillard de 80 ans qu'ils n'ont droit de voir qu'une seule fois par an, pendant quinze minutes, pas une de plus. Car le grand-père est un païen. Et qu'y a-t-il de plus grave au monde pour Eugene, catholique extrémiste, que de fréquenter un païen, de dormir sous son toit, de manger la même nourriture que lui, cette nourriture qu'il partage avec son chi, sa divinité personnelle. Une telle incursion sur la route du péché ne mérite qu'un seul châtiment : se faire ébouillanté les pieds au fond de la baignoire familiale : « Voilà ce que tu fais quand tu marches dans la voie du péché. Tu te brûle les pieds. »
Au cours du roman, Eugene provoquera entre autres les deux fausses-couches de sa femme ainsi qu’un bon nombre d’oeil au beurre noir, il écrabouillera le petit doigt de son fils, brûlera les pieds de ses deux enfants, fouettera à tour de bras avec sa ceinture et tuera presque sa fille en la ruant de coups de pieds. Rien que des actes de violence qu'il considèrent absolument nécessaires et ne commet qu'en pleurant lui-même de devoir infligé un tel châtiment : Eugene n’a aucun recul, ni aucune échelle de valeur et ses punitions sont toujours d’une violence égale, quelque soit l’acte. Que sa fille brise le jeune de l’eucharistie parce qu’elle a ses règles et a besoin de manger pour pouvoir prendre ses médicaments, ou qu’elle lui mente en toutes connaissance de cause sur ce qu’elle fait avec sa tante qu’il lui a formellement interdit, ne fait pour Engene absolument aucune différence.
Sa violence est d'ailleurs décrite avec une simplicité extrême par Chimamanda Ngozi Adichie, elle est sans fioritures, ni grandiloquence, elle arrive également sans prévenir. Elle est, comme dans la vie, simple, efficace, et malheureusement parfaitement naturelle et intégrée dans le quotidien. Il suffit d'un rien pour l'exacerber, et en ce qui concerne Eugene, tout l'exacerbe. Quelque chose d'aussi banal qu'un enfant qui ne sait pas son catéchisme par coeur peut prendre des proportions délirantes : il perdra un de ses doigts en cas d'échec.
***
Cette histoire pourrait n'être qu'une histoire d'enfants battus (mais pas une simple histoire d’enfants battus non plus, car il y a une finesse dans la description des relations de Kambili à son père et dans celle des perversions mentales d’Eugene qui dépasse les poncifs du -- malheureusement c’est ainsi qu’il faut l’appeler -- genre) si elle ne se passait pas au Nigeria, alors qu'un putsch militaire renverse le gouvernement. L’évolution de la violence d’Eugene, des rapports ambigus des enfants à ces tortures, de leur prise de conscience à travers la découverte de la liberté de ton et d’action de leurs cousins, tout cela reproduit en plus subtil l’évolution de la disparition de la démocratie dans le pays. Cette manière de traiter le conflit est très intéressante, car en représentant les événement les plus marquants, donc forcément caricaturaux, d’un régime militaire sous la forme d’un conflit familial, Chimamanda Ngozi Adichie leur donne le recul nécessaire pour qu’il puissent reprendre tout leur sens originel : elle leur redonne une simplicité, débarrassé de l’attirail clinquant habituel, que le lecteur, qui a le plus souvent déjà lu d’autres histoires de coups d’états, africains ou pas, de dictatures, avait oublié.
Loin des grands évènements forcément caricaturaux ressortant de la description de tels événements, le livre préfère jouer sur des détails. La famille de la tante, par exemple, n’est pas le parfait contrepoint de celle de Kambili et Jaja : ils ne sont, par exemple, ni païens, ni agnostiques, bien au contraire, ce sont des catholiques convaincus et pratiquants, mais qui pensent que Dieu n’a sûrement pas besoin d’eux, ou d’Eugene, pour juger ; Amaka, l’aînée des cousins, se prétend une militante africaine, une féministe, une anti-ado, et pourtant, elle se maquille, se coiffe et s’habille comme n’importe quelle teenager américaine, et lorsqu’elle papote avec ses copines, le sujet n’est pas politique : il s’agit tout simplement de leur professeur de math qui ne connaît pas la solution de ses propres problèmes ; son frère, qui apparaît au premier abord très précoce pour un enfant de quatorze ans, possédant déjà des opinions politiques très personnelles, s’avère en fait un brin snob, et surtout le plus obsédé de tous par l’idée d’émigrer au Etats-Unis, loi des problèmes nigérians. Il s’agit du bon vieux « gris clair au gris foncé » que l’on trouve entre le Blanc et le Noir si tranchés du manichéisme : ici, tout ressemble au hibiscus pourpre de Tante Iefoma. En fait, en anglais, l’hibiscus est purple, ce qui peut-être à la fois notre pourpre cardinal et un violet très profond, ce qu’il est ici, de toute évidence. Un mélange de bleu et de rouge, du bleu dans du rouge, ou du rouge dans du bleu, mais pas tout à fait l’un, pas tout à fait l’autre.
Ce n’est d’ailleurs pas seulement à travers la terreur que Eugene fait subir à sa famille qu’il reproduit les régimes totalitaire, c’est aussi à travers ses obsessions. Son obsession blanche surtout : son Dieu est blanc, son prêtre est blanc, l’école de ses enfants leur enseigne des principes blancs (le classement des élèves), sa Vierge est blonde, sa langue est exclusivement l’anglais (« Nous devions paraître civilisés en public, nous disait-il ; nous devions parler anglais »). Cette obsession de civilisation est à rapproché de la constance avec laquelle les coups d’états africains sont perpétrés par des militaires : l’image type de l’envahisseur blanc tel qu’il est apparu la première fois en Afrique. Le militaire = le civilisateur. Pour Eugene, le parallèle se fait à travers l’image du missionnaire-civilisateur : l’autre force blanche qui a cherché à écraser la « sauvagerie » africaine. Pour Eugene, cette perfection civilisatrice est une voie aussi étroite que celle proposée par le nouveau gouvernement (à cette bonne vieille obsession du consensus) : une voe si fragile qu’il faut faire n’importe quoi pour la protéger, même s’il reste convaincu qu’elle ne peut exister en Afrique : il refuse ainsi l’idée même que la Vierge pourrait apparaître réellement en Afrique.
Dans un tel contexte, la liberté n’est pas une idée facile à amener pour Chimamanda Ngozi Adichie : le risque est le faire passer pour plus caricaturale que ce qui est dénoncer. C’est la que la métaphore du titre prend tout son sens. Elle est expliquée très tôt dans le texte : les hibiscus pourpres, ce sont des plants expérimentaux inventé par la Tante « rare[s], chargé[s] des parfums de la liberté, une liberté différente de celle de la foule agitant des feuilles vertes à Government Square après le coup d’Etat. Un liberté d’être, de faire. » Une essence fragile aussi, cet hibiscus pourpre : « [ils] n’aimaient pas avoir trop d’eau, mais ils n’aimaient pas être trop secs non plus. » La métaphore de ses plantes ne prend tout son sens que mis en relation avec les hibiscus poussant dans le jardin d’Eugene : des fleurs d’un rouge violent, synonyme de sang aussi bien que de violence, à la floraison presque surnaturelle, cohabitant difficilement avec les nouvellement arrivés hibiscus pourpres. « Le plants pourpres commençaient à donner des bourgeons ensommeillés, mais c’étaient quand même sur les rouges que se trouvaient la plupart des fleurs. Ils semblaient fleurir si vite, ces hibiscus pourpres, compte tenu de la vitesse à laquelle Mama les coupait pour décorer l’autel de l’église et les visiteurs [les membres du groupe de prière et les agents du gouvernement venus essayer de corrompre Eugene] les cueillaient en retournant à leur voiture. »
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Le livre ne manque pas de défauts, bien sûr, mais ce sont principalement (peut-être même exclusivement) des problèmes typiques de premier roman, c’est-à-dire rien, en ce qui me concerne, qui ne me choque réellement : dans ses prochains livres, ils auront disparu, et pour le moment, ils ne perturbent pas à ce point là ma lecture que je ne puisse pas les oublier au fil de ma lecture. Le principal est que Chimamanda Ngozi Adichie a tendance à rendre son personnage de narrateur (un je) beaucoup trop passif. Il est évident que cela fait partie de l’histoire, la sert et lui permet d’avancer, mais cette facilité permet aussi facilement les crocs-en-jamabe : le personnage de Kambili, le plus poussé psychologiquement, se retrouve aussi être celui qui évolue le moins vite. Son frère Jaja, qui de son côté, sert plus de porte-parole pour certaines idées (en particulier à la fin) que de personnage, évolue beaucoup trop vite, et pratiquement toujours en dehors du cadre de l’image que nous donne la narratrice. Kambili devient une observatrice, mais qui sait bizarrement fermer les yeux quand quelque chose pourrait lui permettre de faire un bond personnel et d’évoluer. C’est réaliste au début du texte, ça l’est beaucoup moins au trois-quart.
Mais si je me fais l’avocat du diable (de l’auteur en l’occurrence), je vous dirais aussi que je suis très partiale en ce qui concerne le « je » dans le roman (à user avec parcimonie, et seulement si l’on veut jouer sur l’ambiguïté d’un flux de conscience unique) et que je ne suis donc put-être pas le juge le plus objectif que vous pourrez trouver sur le sujet. Parenthèse fermée.
Chimamanda Ngozi Adichie abuse également de certaines répétitions censés nous montrer l’évolution des modes de pensée étroits et eux-mêmes répétitifs de Kambili et de Jaja, enfermés dans un cercle vicieux de concepts par leur père : trois ou quatre fois simplement auraient suffit. Kambili rêve par exemple trop souvent de dire les gimmicks qu’e son père lui a appris pour récolter son approbation, l’idée finit par perdre de son intérêt. La fin elle-même est un peu précipitée, et le retournement de situation final sort du chapeau comme un lapin. Mais si c’est un peu frustrant, ça ne l’est pas autant que l’on pourrait le croire : la fin n’est pas la « solution » du livre, elle ne fournit rien qui ne soit déjà dans le texte avant. Les plus ennuyeux est peut-être que cette fin téléphonée et un peu excessive gâche un peu l’extrême simplicité, l’extrême réalisme des situations du reste du texte : Ngozi Adichie aurait gagnée à suggérer plutôt qu’à dire, elle aurait dû faire confiance à l’imagination du lecteur, mais là encore, c’est une maladresse de premier romancier, c’est pardonnable (ça n’engage que moi).
Le seul vrai reproche que j’aurais envie de faire concerne la tentative d’histoire d’amour entre Kambili et le jeune père Amadi, la prêtre préféré des cousins. Alors qu’elle aurait pu trouver à travers cette histoire un moyen de traiter certaines idées qui dans le contexte de son texte auraient été extrêmement intéressantes (et qui à moi, mais je suis probablement trop orientée, me paraissaient évidentes), mis en coupant brusquement court son récit amoureux, elle passe à côté, comme si elle avait peur de s’attaquer au sujet, comme si elle craignait qu’il déborde le roman : l’idée, en particulier, qu’il est possible de s’éloigner de la religion (de quitter l’habit) sans y renoncer (de devenir un croyant-pratiquant ordinaire).
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L’hibiscus pourpre est un texte profondément honnête qui ne cherche jamais à profiter de l’indulgence que le lecteur pourrait avoir à l’égard d’un premier roman, et encore moins à manipuler le lecteur, ce qui devient malheureusement de plus en plus courant dans les (premiers) romans, même les bons (je ne citerais qu’un des exemples les plus flagrants : Tout est illuminé de Jonathan Safran Foer). Chimamanda Ngozi Adichie ne met pas en avant ses capacités littéraires, elle n’impose pas son écriture au point que le lecteur finit par être agacé par les finesses ou les interminables circonvolutions (aucune chance qu’elle donne dans le réalisme magique, malgré les allusions constantes au domaine des rêves !), mais elle ne privilégie pas non plus le fond au détriment de la forme. La traduction compte quelques amusantes curiosités dont on a du mal à juger si elles sont d’origine -- en anglais spécifiquement nigérian -- ou si elles sont des maladresses d’adaptation : un moment, par exemple, l’un des personnages fait une remarque non pas en obi, la langue qu’il parle la plupart du temps, mais en « anglais amusée ». Je ne savais pas qu’en français une langue pouvait être amusée… Quoi qu’il en soit, ces étrangetés -- rares cependant -- au lieu de perturber la lecture, s’y intègrent parfaitement et réussissent à créer le décalage que l’on pourrait parfois avoir tendance à oublier : l’histoire réussit à être en même temps spécifiquement africaine et très universelle (il m’est arrivée plusieurs fois de me forcer à me rappeler que Kambili ou Eugene était noirs, et que l’histoire se passait au Nigeria, et non dans quelque patelin américain religieusement surexposé.)
Ngozi Adichie ne suis aucune mode, aucun courant, aucune politique littéraire. Elle a une idée très classique de ce que doit être la littérature : elle a son histoire à dire, et elle la dit bien, avec une puissance narrative hors du commun qui s’impose sans jamais utiliser la force. Après avoir lu le livre, on ne se remémore pas forcément certains passages précis, mais on a un mal fou à s’ôter l’histoire de la tête. C’est comme une petite musique qui continue à vous trotter dans un coin du crâne. C’est bien le but du jeu, non ?
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Par ailleurs le texte fait partie de la sélection FNAC "Le choix des libraires" de cette année. Je rajouterais les critiques françaises dès qu’il y en aura.
Le premier chapitre en anglais (PDF)
Le même extrait en français (PDF)
Commentaires :
Anonyme |
Lien croiséTouraine Sereine : "Pour plus d’informations, je me permets de vous renvoyer à la note écrite par Heileen sur son carnétoile La Muselivre, car elle comprend de nombreux liens, tant en anglais qu’en français. Cette recension est aussi, je le crains, bien plus approfondie que la mienne, mais si j’avais le livre tout auprès, me jouxant, libro aperto, etc., ce serait mieux, juré !"
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à 13:58